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Quelques idées pour faire germer la souveraineté alimentaire

Depuis quelque temps, la question agricole au Québec est de toutes les tribunes. Depuis que nos dirigeant-e-s, dans toute leur parasainteté, ont alignés les mots de l’abondance, les réflexions pleuvent et tous y vont de leurs propositions. On y retrouve des propositions des plus banales, comme les initiatives d’achat local, autant citoyennes que gouvernementales, aux idées légèrement audacieuses comme les tarifs préférentiels pour le chauffage de serres ou la conversion de pépinières ornementales en pépinières légumières. Par contre, grâce aux travaux de certaines personnes, on se rend compte que l’hiver n’est pas le frein majeur à la production légumière que l’on pensait. Semble donc émerger l’idée que la production de certains légumes, toute l’année, au Québec serait possible. Ce qui est déjà le cas dans certaines fermes.

Prenons un moment pour explorer les idées grand public qui circulent actuellement. En premier, le fameux rabais d’électricité. En amont de l’idée, il faut savoir que les exploitations agricoles (terme officiel pour les fermes au MAPAQ) ont déjà accès au tarif domestique d’Hydro-Québec, ce qui représente une contribution de l’État pour faciliter la production ou pour augmenter les bénéfices des entreprises. Aussi, il faut regarder à quoi sert cette électricité sur les fermes. Actuellement, c’est surtout le propane et le bois qui servent à chauffer les installations agricoles. Que l’on pense aux serres, aux pouponnières ou aux séchoirs à grains. La fausse crise du propane aura été révélatrice à cet égard. Dans cette mesure, on peut se questionner sur le rôle à venir d’Hydro-Québec et de sa nouvelle directrice, précédemment chez Gaz-métro. À quoi sert donc l’électricité dans tout ça ? Principalement à l’éclairage. Car au-delà des températures hivernales, l’hiver amène aussi des carences en temps d’ensoleillement. Ce serait donc à l’avantage des grands consommateurs de lumières, c’est-à-dire les grands complexes de serres comme Savoura, Toundra, Lufa ou les plus récents producteurs de pot. Les mêmes industries auxquelles nous reprochons, notamment, la pollution lumineuse. Bien qu’une partie de leurs productions nourrisse effectivement la province, c’est surtout leurs bénéfices nets qui vont s’en trouver améliorés. C’est donc les gros joueurs industriels qui apprécieront les nouveaux tarifs d’électricité et non les petits maraîchers de proximité. Une meilleure idée serait de donner l’électricité gratuitement aux fermes à faible chiffre d’affaires et qui font de la distribution en circuits courts. Et pourquoi pas aux fermes à but non lucratif ?

Deuxième idée à nuancer, l’achat local et les circuits courts. C’est en soi une bonne blague de voir ce discours émerger alors que, depuis les années 80, on porte au pouvoir des gouvernements néo-libéraux, Hérault de la délocalisation et du marché mondial, qui s’efforcent de créer de grandes chaînes d’intégrations internationales pour approvisionner la province. Alors certes, acheter local et à proximité, mais dans le réel, à regarder la politique bioalimentaire du Québec, c’est l’inverse qui est mis de l’avant. Des questions comme l’absence d’abattoirs de proximité, l’accès difficile à la terre ou la professionnalisation de l’agriculture sont autant de freins à l’achat local que le gouvernement actuel ne semble pas vouloir adresser. À cet égard, les revendications de l’Union paysanne concernant la hausse du hors quota, l’abattage à la ferme et l’application de la loi sur la mise en marché des produits agricoles seraient bien plus en mesure d’aider la production et l’achat local, en plus d’encourager la réhabitation de régions dévitalisées.

Finalement, la dernière initiative grand public en est une relativement bonne. On parle ici d’une majoration de 4$/h par rapport au salaire de base pour les travailleurs et travailleuses agricoles. Sur cette question, on peut mentionner que la question salariale est fondamentale quand on regarde l’impact selon la taille (et le chiffre d’affaires) des fermes. Plus la ferme est petite, plus la proportion des frais d’exploitation liés aux salaires est grande. Aider à améliorer les conditions de travail des gens sur la ferme ne peut être que souhaitable et pourrait sérieusement aider les plus petites fermes à augmenter significativement leur production. Par contre, si on regarde simplement les dépenses en salaires, on se rend compte que les grands maraîchers (souvent en monoculture) sont des employeurs importants et qu’ils bénéficieraient également de cette majoration. Si l’objectif est d’améliorer les conditions de travail et l’attractivité des emplois agricoles, cette mesure semble adéquate. Par contre, si l’objectif est de réduire le nombre de fermes industrielles, alors c’est ailleurs qu’il faudra chercher.

Au-delà de ces idées, il semble important de prendre un moment et d’adresser les termes que l’on entend fréquemment dans les médias. Je pense ici à aux questions de la sécurité, de l’autonomie et de la souveraineté alimentaire. Le premier terme, de sécurité fait référence à la possibilité de se procurer une nourriture qui satisfait les besoins. C’est ce qu’on vit en ce moment, au Québec, avec l’offre alimentaire des épiceries, des transformateurs industriels et de certains marchés mondains. On donne donc à la main invisible du libre marché le rôle de constituer cette offre. Bien sûr, un certain nombre de lois et de règlements existent pour minimiser les effets néfastes et faciliter l’implantation de telles offres. Les banques alimentaires, approvisionnées presque exclusivement par les industriels, sont aussi une partie de cette sécurité pour les moins nantis d’entre nous. La sécurité est le terme que les capitalistes ont choisi pour parler de l’appareil de production alimentaire industriel mondial, celui qui pollue, qui empoisonne et qui nourrit à peine.

Deuxième terme, celui de l’autonomie. Cette idée implique de faire les choses soi-même. C’est une saveur plus nationale, plus protectionniste qui se déploie derrière ce terme. C’est l’idée de ramener une partie plus importante de la production nourricière du Québec au Québec. Cette idée se heurte, encore une fois, à l’esprit néo-libéral actuel qui ne jure que par l’ouverture des frontières et les exemptions douanières. On voit cette gymnastique à l’oeuvre en ce moment dans certaines politiques agricoles comme les quotas et les tarifs douaniers, dans lesquels naviguent les partenariats et les ententes de libre-échange. On veut produire plus au Québec, mais on veut aussi améliorer la balance commerciale du pays et de la province. Autre phénomène lié au terme, celui du type de production. Aucune intention n’existe, derrière l’autonomie alimentaire, d’augmenter le nombre de fermes, d’en réduire la taille et d’en améliorer les pratiques au point de vue social, environnemental et nutritif. Tout cela est laissé aux experts des fédérations spécialisées et aux plans conjoints. Et la tendance actuelle, à quelques exceptions près, reste à la concentration, l’intégration et à la spécialisation.

Finalement, le dernier terme, celui de souveraineté alimentaire est de loin le plus intéressant. Ce terme, issu des luttes de La Via Campesina, une organisation paysanne internationale, se déploie en six piliers. L’accent est mis sur la nourriture destinée aux populations locales. Elle encourage et valorise les productions locales et propose de localiser les productions et la consommation. Le contrôle de ces productions est aussi localisé pour encourager le travail avec la nature et les connaissances et compétences des paysan-ne-s. Derrière ce terme, on retrouve l’idée du choix, de la décision. Dans notre contexte, c’est là un terme important, car c’est bien l’une des choses dont nous sommes privé-e-s. Quoi produire, comment le produire, comment distribuer sont autant de questions importantes qu’il est temps de se poser.

Après ce survol de quelques idées et de termes qui peuvent porter à confusion, on est en mesure de se demander ce qui serait réellement transformateur pour l’agriculture du Québec. Je m’essaye de quelques propositions. Avant toute chose, je veux quand même saluer les initiatives qui se déploient en ce moment, à travers le Québec, pour essayer d’améliorer les choses. Car c’est bien de cela qu’il est question ici : l’amélioration par la transformation. Autant dire que le status quo n’est pas à préserver, il est à bouleverser.

En premier lieu, il est question de la relation entre la société et son modèle de production agricole. Ce modèle est, en ce moment, laissé à quelques spécialistes qui ne nous disent rien à part de leur faire confiance. Il faut se séparer de cette vision technocratique et essayer d’imaginer un tout autre rapport. Un rapport dans lequel les forces productives de l’alimentation acceptent un contrat avec l’État. Comme le sont certain.e.s professionnel-le-s et les fonctionnaires. L’idée est de reconnaître les services que rendent les agriculteurs et agricultrices comme un service collectif et qu’ils et elles soient rémunéré.e.s sur ces bases plutôt que comme des entrepreneur.e.s à la recherche permanente de projets subventionnables, comme c’est le cas en ce moment. Cette idée émane du contrat vert de l’Union Paysanne, un document que l’on aurait intérêt à ressortir et à explorer collectivement.

En second lieu, c’est la relation entre les forces productives et les forces de consommation qu’il est important d’explorer. Cet exercice doit être considéré à plusieurs échelles pour pouvoir se déployer convenablement. L’idée fondamentale est la suivante. Ce n’est pas le libre marché qui doit organiser l’alimentation de la province, mais bien des organisations qui permettraient l’union des producteur-trice-s et des mangeur-euse-s. Ces organisations auraient pour but de déterminer les besoins de ceux et celles qui mangent et d’y faire correspondre une production locale. Pour répondre aux besoins de toutes et tous, ces organisations devraient se déployer à l’échelle d’un quartier ou d’un village, jusqu’à celui de la province. Une forme de fédération pourrait être mise en place pour organiser le tout et des agences de facilitation pourraient voir le jour pour aider les processus. Ce qu’il faut voir dans cette idée, c’est son caractère décisionnel pour les gens du Québec. C’est aussi un exercice beaucoup plus démocratique que ce que nos parlementaires nous proposent. C’est, de plus, un exercice d’autogestion collective à grande échelle. C’est, à mon avis, la voie de la souveraineté alimentaire. Une proposition du Front commun pour la transition énergétique va dans ce sens et mérite notre attention. C’est la création de programmes régionaux de souveraineté alimentaire, une idée qu’il serait également intéressant d’explorer collectivement.

Finalement, les démarches que le Québec doit mettre en place pour atteindre une réelle souveraineté alimentaire sont définitivement collectives. Il faut rompre avec l’idée des spécialistes et technocrates qui connaissent nos besoins. Il faut rompre avec les idées néo-libérales du désengagement de l’État et de sa vision hégémonique capitaliste. Nous devons reconstruire nos processus et nos espaces décisionnels sur de nouvelles bases décentralisées. Après la crise, nous devons organiser les États Généraux sur l’Alimentation au Québec.

Gaspar C. Lépine, paysan, coop du Trécarré

Jean Simon Voghel, paysan, ferme Le Noyau

Alexandre Béland, fondateur et président de ulocal.co