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Rapport de la délégation de l’Union paysanne lors d’une formation en agroécologie et Congrès international à Cuba

Novembre 2013

Rapport de voyage de la délégation de l’Union paysanne pour formation en agroécologie et 4e Congrès international d’agroécologie, d’agriculture durable et de coopérativisme organisés par l’ANAP (Association Nationale des petits agriculteurs et agricultrices) à Cuba.

Raymond Robitaille, Ketsia Johns, Ghislain Jutras, Cécile Famhérée, et Claude Lussier, tous membres de l’Union paysanne, ont participé du 10 au 15 novembre 2013 à la formation en agroécologie de l’ANAP, Asociación nacional de agricultores pequeños (Association nationale de petits agriculteurs).  Après la formation, Caroline Laurin et Bruno Verrier se sont joints à la délégation pour participer au 4e Congrès international d’agroécologie, d’agriculture durable et de coopérativisme du 17 au 23 novembre.  S’y trouvaient quelques centaines de personnes provenant de Cuba et d’une vingtaine de pays des Amériques, d’Afrique et de l’Europe.

Nous avons été très impressionné-e-s de l’ampleur du mouvement agroécologique à Cuba. Aucun pays des Amériques, et probablement dans le monde, n’est aussi avancé. La croissance de l’agroécologie est exponentielle. Nous avons l’impression que le pays pourrait être le premier au monde à devenir entièrement agroécologique, ce qui en fait un ambassadeur de ce mouvement.

Quelques dates importantes pour une petite mise en contexte :

  • Avant 1959 occupations des terres par les latifundia pour la production de tabac, de canne à sucre et élevage bovin. 9,4 % des propriétaires possèdent 73 % des terres, 90 % des propriétaires possèdent 26 % des surfaces cultivées, 85 % d’entre eux en louage ou métayage, donc très précaires. 25 % aux mains de capitaux étrangers.
  • 1959, triomphe de la révolution cubaine. Réforme agraire dès le 17 mai, 4 mois après la victoire. Fin du latifundium.
  • 1959-1965, diversification (riz, maïs, haricots, pommes de terre, tomates, volaille, œufs, porc) et effort pour autosuffisance alimentaire. 1,2 million d’hectares mis à disposition de 100 000 familles paysannes. 40 % des terres nationalisées et exploitées par 400 000 travailleurs. Mise en place du blocus américain.
  • Années 60, petits producteurs devenus propriétaires de leur terre grâce à la réforme agraire, création des premières coopératives de crédit et services (CCS, les paysans restent propriétaires de leur ferme, mise en commun des achats et mise en marché) et des coopératives de production agricole (CPA, mise en commun des terres).
  • 17 mai 1961, jour du 2e anniversaire de la réforme agraire, fondation de l’ANAP.
  • Années 70 et 80, Révolution verte. Introduction massive de tracteurs, moissonneuses, engrais chimiques, pesticides, irrigation à grande échelle, semences hybrides et intérêt renouvelé pour les grandes monocultures. Appui du bloc soviétique pour intrants, machinerie, 85 % de la commercialisation.
  • Milieux des années 80 déclin de rendement dû à la dégradation des sols et de l’environnement en général, dévastation de cannes à sucre à cause de la rouille de la canne à sucre, moisi bleu du tabac, etc.
  • 1989-1990, chute du l’URSS
  • 1991, décret de la « Période spéciale en temps de paix. » Décentralisation de la production, recherche de nouvelles formes d’organisation et de stimulation de la force de travail dans les coopératives (CCS et CPA), distribution d’autres terres, augmentation du soutien à la commercialisation, l’ANAP adopte de nouvelles lignes de travail et se tourne vers l’Agroécologie, seule façon de sortir de l’impasse à cause du manque d’intrants, de machineries, de ressources énergétiques.
  • 1997, début de la mise en place du concept d’échange et de formation « de campesino a campesino » (paysan à paysan).
  • 2002, mise en place de Campesion a campesino dans les toutes les provinces de Cuba.

Lors de notre formation, des visites de ferme et des conférences, nous nous sommes rendu compte que Cuba est très avancé dans la production agroécologique. Les pratiques mises en places durant les premières années, soit de 1997 à 2000, sont les suivantes :

  • Substitution des intrants chimiques
  • Diagnostic de ferme
  • Intégration agriculture-élevage bovin
  • Polycultures
  • Plantes médicinales
  • Début des pépinières
  • Agriculture urbaine biologique

Le mouvement « Campesino a campesino » a permis de faire avancer les choses très rapidement. C’est un système d’échange et de formation horizontal où le paysan devient l’expert qui donne les formations en montrant ce qu’il a réalisé et ce qui a bien fonctionné, donnant ainsi l’exemple. Les principes de ce concept sont les suivants :

  • Commencer doucement et à petits pas
  • Limiter l’introduction de technologies, les maîtriser une par une pour obtenir des résultats rapides et visibles de manière à donner le goût d‘essayer les techniques enseignées
  • Expérimenter à petite échelle
  • Créer un effet multiplicateur

Les instruments utilisés sont :

  • La ferme comme élément de base
  • Les témoignages de ceux qui ont déjà essayé et obtenu des résultats
  • Les démonstrations didactiques
  • Présentation de produits, semences, matériels, innovations
  • Dynamique d’animation
  • Poésie et chansons
  • Sociodrames

De 2000 à 2003, les pratiques suivantes se sont ajoutées :

  • Engrais verts
  • Semis en courbes de niveau
  • Culture en terrasses
  • Réduction des intrants biologiques extérieurs à la ferme
  • Augmentation de la biodiversité
  • Introduction d’arbres fruitiers
  • Diversification des zones de cannes à sucre
  • Essor de l’arbre de neem comme insecticide
  • Augmentation de source d’énergies alternatives

Les fermes sont classées en 3 catégories selon leur avancement en agroécologie et selon le nombre de pratiques mises en place avec succès. Des études ont montré que plus les fermes intègrent les pratiques plus elles sont rentables et plus elles se remettent vite des ouragans et aléas climatiques.

Depuis 2003 les pratiques suivantes se sont ajoutées :

  • Lombriculture
  • Conservation des semences, préservation des variétés et espèces indigènes
  • Amélioration paysanne et participative des espèces et des variétés de plantes
  • Introduction de nouvelles cultures
  • Brise-vent
  • Culture et emploi de mycorhizes et autres organismes bénéfiques
  • Élevage et emploi d’insectes bénéfiques

Il est étonnant de voir que le lombricompost est très répandu, en fait la grande majorité des fermes ont adopté cette pratique. La traction animale est vue ici comme une manière moderne de faire de l’agriculture. En effet cette utilisation, en plus de ne pas dépendre de l’énergie fossile, permet de ne pas compacter les sols.

Les paysans sont très fiers de leurs avancés et ils veulent pousser le concept aussi loin qu’ils le peuvent, dans chacune des fermes où nous sommes allés.

Les deux principales clés du succès de cette transformation radicale et rapide de l’agriculture à Cuba sont la volonté  politique de la Révolution cubaine et l’emploi de la méthodologie « campesino a campesino », aussi appuyé par l’État.

Par nécessité de ne pas laisser mourir le peuple cubain de faim, la Révolution a d’abord fait une réforme agraire en profondeur, laissant accès à la terre. Il a aussi mis en place plusieurs programmes dont :

  • Programme national de production de moyens biologiques
  • Programme national de traction animale
  • Programme national de production de matière organique
  • Mouvement forum des sciences et techniques
  • Programme culture populaire de riz
  • Programme national d’agriculture urbaine
  • Programme national d’amélioration et de conservation des sols
  • Programme national de lutte contre la désertification et la sécheresse
  • Programme forestier national
  • Politique environnementale

Les ministères et institutions suivantes travaillent tous main dans la main pour faire avancer l’agroécologie à Cuba :

  • Ministère de l’Agriculture
  • Direction des sols
  • Direction de la santé végétale
  • Ministère du sucre
  • Ministère de la Science, de la Technologie et de l’Environnement
  • Association cubaine des techniciens forestiers
  • Association cubaine de production animale
  • Les universités
  • Les médias, télévision, radio et journaux
  • Fondation de la nature et de l’Homme « Antonio Nuñez Jiménez »
  • Mouvement d’agriculture urbaine
  • Les centres de recherche
  • École nationale d’agroécologie « Niceto Perez », où la formation et le congrès international ont eux lieu.

Comme vous voyez, tout est mis en place pour faire avancer le concept de l’agroécologie à Cuba de façon très efficace. C’est pourquoi déjà le 1/3 des fermes de Cuba sont agroécologiques à différents niveaux. Ce sont plus de 100 000 familles qui sont dans ce processus. Ici les fermiers sont parmi ceux qui gagnent les meilleurs salaires. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux. Ils sont un exemple de ce qu’on peut faire avec peu de moyens, un blocus économique qui ralentit et occasionne des problèmes, avec des succès impressionnants. Nous devrons donc, si nous voulons avancer plus vite dans le sens de l’agroécologie, faire des représentations politiques pour faire changer les lois et règlements et mettre à contribution toutes les institutions publiques concernées. Il serait bon aussi de mettre en place la méthodologie « paysan à paysan » afin de transmettre les techniques, entre agriculteurs, et aussi aux personnes qui voudraient entrer dans la danse.

Des liens ont été tissés avec les paysans cubains, avec l’ANAP et avec l’école nationale d’agroécologie Niceto Perez et la solidarité entre l’Union paysanne du Québec peut donner des résultats intéressants pour le futur.

 

Ce voyage et cette formation ont été rendus possibles et agréables grâce à:

•L’Union paysanne du Québec qui a remis 2 bourses de $250 aux deux délégués, Claude Lussier et Caroline Laurin
•Les Jardins de la Grelinette par une bourse de 200$ remise à Ketsia Johns en tant que relève agricole
•Stéphanie Wang et tout le comité international de l’Union paysanne
•Aro CoopérAction InterNational, Colette, Lourdes et Juan Carlos pour le soutien considérable à la préparation, l’encadrement de la délégation et à l’interprétation
•La Via Campesina
•La ANAP (Association Nationale des petits agriculteurs cubains)
•L’école Niceto Perez de l’ANAP, sa direction et son personnel
•Les participantes et participants au cours, grâce à qui il y a eu beaucoup de belles interactions

 

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