Rimouski, 9 novembre 2017. Le glyphosate, mieux connu sous son étiquette commerciale RoundUp Ready et développé par la controversée multinationale Monsanto, fait des remous dans l’Union européenne (UE). En février 2016, une coalition de 38 ONG issues de 14 États membres initiait l’enregistrement par la Commission européenne d’une initiative citoyenne européenne (ICE) intitulée « Stop glyphosate ». Leurs demandes à la Commission étaient alors très claires : (1) proposer aux États membres une interdiction du glyphosate, (2) réformer la procédure d’approbation des pesticides et (3) fixer à l’échelle de l’UE des objectifs obligatoires de réduction de l’utilisation des pesticides [1].
Pour être entendue, la coalition devait relever un défi grandiose, celui de mobiliser un million de citoyennes et citoyens originaires d’au moins sept États membres de l’UE afin d’amasser leurs signatures, sans quoi l’ICE ne serait pas retenue par la Commission. À peine quelques mois plus tard, la société civile faisait entendre sa position avec plus de 1,3 million de personnes répondant à l’appel. Un pas de géant dans la lutte contre le glyphosate venait d’être effectué.
Retour sur la polémique
Alors que les États membres de l’UE devaient se rencontrer pour débattre de la ré-autorisation du glyphosate pour les dix prochaines années au début 2016, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classait en juillet 2015 le glyphosate comme « probablement cancérogène pour l’homme » après la consultation de plusieurs études scientifiques sérieuses.
Dans la tourmente, un nouveau document portant un avis contraire est publié par l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) en novembre 2015, qui considérait plutôt comme bénin le glyphosate sur la santé humaine. Les États, alors au cœur de négociations sur la proposition de ré-autoriser l’usage de la molécule pour les dix prochaines années, n’arrivent pas à s’entendre. L’exécutif de l’UE tranche et permet son utilisation pour seulement 18 mois, après quoi une décision officielle devra être prise. Le débat est lancé.
C’est à ce moment que l’Europe assiste à une mobilisation massive de la société civile, à la veille du retour des États autour de la table de négociation sur la ré-autorisation du glyphosate. La contestation semble faire son chemin, puisque le mois passé, les parlementaires européen.ne.s votent le bannissement du glyphosate pour décembre 2022!
Les États membres avaient l’occasion de faire valoir leurs positions aujourd’hui, le jeudi 9 novembre quant à la ré-autorisation du produit pour les cinq prochaines années. Mais une fois de plus, les États n’ont pas réussis à s’entendre sur le sort de la molécule, dont les effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement sont révélés dans des centaines d’études scientifiques. Son bannissement pourrait être devancé.
Le glyphosate, un produit dangereux?
Si les documents publiés par l’Echa (et par l’agence européenne de sécurité des aliments (Efsa) en mars 2017) suggèrent que le glyphosate ne présente pas de risque pour la santé humaine, on peut sérieusement douter de la fiabilité de leurs analyses. En effet, les organismes environnementaux européens critiquent sévèrement les méthodes d’évaluation employées par les deux agences. On leur reproche de ne s’être fiées qu’à des études privées fournies par une quarantaine d’entreprises portant des intérêts économiques avouées pour la commercialisation du glyphosate. Selon la réglementation européenne sur les produits pharmaceutiques, c’est effectivement aux entreprises, celles qui demandent une autorisation de mise en marché, de prouver l’innocuité de leurs produits. Le processus légal mène de facto au conflit d’intérêt.
Les effets du glyphosate sur l’environnement sont aussi grandement documentés dans la littérature scientifique. On y mentionne entre autres la perte progressive de la fonction des sols, une perte de la biodiversité, des maladies végétales, la résistance de certaines espèces de mauvaises herbes aux herbicides et la contamination des réseaux hydriques de surface et sous-terrains. De plus, l’utilisation du glyphosate impose des pratiques agricoles fortement dépendantes aux énergies carbonées, contribuant ainsi directement à l’intensification des changements climatiques [2].
Quel débat pour le Québec?
En mars 2017, Santé Canada rendait son verdict au sujet de l’utilisation du glyphosate. Elle jugeaient « qu’il est peu probable que le glyphosate présente un risque de cancer chez les humains [3] ». Une décision ferme prise dans un silence médiatique étonnant, au bénéfice des multinationales de ce monde et sans considération pour l’environnement.
Alors que la société civile européenne se positionne sans ambages sur la question des herbicides, et plus précisément sur le cas du glyphosate, l’enjeu semble encore méconnu des citoyennes et citoyens du Québec. Pourtant, le glyphosate est l’herbicide le plus vendu dans la province. En 2012, on l’utilisait sur plus de 1 900 000 hectares de cultures, principalement de soja et de maïs [4]. Il semble aussi que son utilisation s’en va croissante. De plus, on retrouve des traces de la molécule dans environ 90 % des cours d’eau [5].
La contestation en Europe est vive et toutes les raisons sont bonnes pour qu’elle le soit ici aussi. Dans un contexte de changements climatiques et de mobilisation autour d’enjeux environnementaux variés, il semble plus que jamais pertinent d’amener la question de l’usage du glyphosate, et par extension des herbicides, dans le débat public. L’exemple européen, qui surpasse le million d’individus sensibilisés à la question, doit servir d’inspiration à un mouvement québécois de contestation.
[1] https://act.wemove.eu/campaigns/ice-glyphosate-fr
[2] Malézieux, E. (2011). Designing cropping system from nature, Agronomy for Sustainable development, vol. 32 (1), pp. 15-29.
[3] http://www.quebecscience.qc.ca/reportage_qs/Glyphosate-la-fin-un-regne
[4] Giroux, I. (2015). Présence de pesticides dans l’eau au Québec : Portrait et tendances dans les zones de maïs et soja – 2011 à 2014 [PDF], Québec, Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la lutte contre les changements climatiques, 74 pages.
[5] Ibid.