Harare, 9 juillet 2015. LVC dénonce le fait que les processus législatifs et de politiques internationales, qui devraient être vus comme des décisions démocratiques et citoyennes, sont de plus en plus dominés par les intérêts des grandes multinationales et cela avec la complicité des classes gouvernantes.1 De plus, on constate une forte tendance à criminaliserles populations qui luttent pour leurs droits ainsi qu’une impunité structurelle pour les crimes commis par ces mêmes multinationales.
Au niveau international, régional, national et local, nous observons que de plus en plus, les cadres législatifs se conçoivent, s’interprètent et se mettent en œuvre en fonction des intérêts des grandes entreprises et des multinationales, malgré la résistance des mouvements et des organisations qui défendent d’autres voies et l’intérêt général. A cela s’ajoute un manque de transparence vis-à-vis de la société civile.
Il est évident que les accords commerciaux internationaux avec des mécanismes de protection des investissements, la dérégulation du commerce et de la production et l’abandon de critères sociaux et sanitaires comme on peut le voir de façon flagrante dans les accords comme le TTIP, TPP, CETA, TISA et les APEs répondent aux demandes pressantes des multinationales et non pas aux intérêts des populations.
On crée aussi une confusion permanente du rôle des organisations qui représentent la société civile et l’intérêt public et des entités qui défendent les intérêts du secteur privé. Les multinationales sont traitées de la même façon que les organisations de la société civile alors qu’en fait, elles ne représentent personne et ne cherchent qu’à défendre les intérêts de leurs actionnaires. Ceci réduit l’espace public de manière considérable.
On crée et on appuie davantage des entités mixtes, des tables rondes ou des plateformes regroupant différents acteurs comme les instances gouvernementales, les organismes de recherche, les bailleurs, les ONGs et les organisations de la société civile alors que l’autonomie des mouvements sociaux n’est pas garantie et encore moins soutenue. Ces espaces poussent à des positions diluées et occultent les réalités du terrain. Un exemple clair est celui de l’ILC (International Land Coalition – Coalition internationale pour la terre) qui est une organisation qui compte sur des fonds de plus en plus importants ces dernières années et qui se présente, de façon opportuniste, à la fois comme un organisme de recherche, un bailleur et un représentant de la société civile. Or, le travail de ILC sert principalement à mitiger les effets négatifs de l’accaparement des terres plutôt que d’arrêter les accaparements eux-mêmes.
Comme mouvement social de paysans, de travailleurs agricoles, de paysans sans terre et de peuples indigènes nous sommes confrontés à une vision du monde réductrice et complètement capitaliste, basée sur un paradigme de croissance à tout prix, sur un marché qui dirige et résout tout et sur un modèle occidental imposé. Ce modèle comprend la privatisation et la marchandisation des biens communs et des droits de base comme l’eau et l’alimentation. Il inclut aussi le mépris pour les mouvements sociaux et un culte à l’entreprise comme l’unique acteur « utile » de la société. La chasse au bénéfice privé est l’élément dominant dans la prise de décision et dans la vision du monde. C’est une vision patriarcale, capitaliste, individualiste et occidentale du bien-être qui est promue et qui mène à une uniformité sur un marché mondialisé. Dans cette vision, le rôle et la responsabilité des Etats sont de plus en plus limités et superflus. Ceci réduit de manière considérable la capacité d’influence et d’incidence démocratique des acteurs de base.
De nouveaux marchés sont créés pour soi-disant résoudre les problèmes que ce marché a créés. C’est ce que l’on voit dans l’exemple des marchés carbones (REDD) qui ont généré de la spéculation foncière, des évictions de communautés et une plus grande contamination en lieu et place de la réduction des émissions carbones recherchée. On propose des solutions technologiques comme les transgéniques et des fertilisants sans prendre en compte une analyse du pouvoir et des intérêts actifs et sans vision à long terme. Le marché d’un cadastre social pour les populations affectées par les barrages montre que les problèmes sociaux sont aussi gérés comme un marché. Nous mentionnons également les partenariats public-privé (PPP) où les entreprises remplacent les Etats dans des constructions obscures qui ne profitent qu’aux entreprises. La terre, l’eau, les semences et nos terroirs, biens communs gérés par les communautés, deviennent des marchandises sous le diktat du titre foncier, du brevetage du vivant via des lois foncières et semencières diligentées, dépossédant les peuples de leurs droits, qui sont les garants de l’avenir de la planète et de l’humanité.
Des initiatives sous prétexte de « lutter contre la faim dans le monde » se mettent en place avec la complicité des Etats occidentaux et des pressions sur de nombreux Etats comme la Nouvelle Alliance pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition (NASAN) soutenue par le G8 ou l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) qui s’inscrivent insidieusement dans les programmes de développement agricole nationaux et sous-régionaux pour imposer un modèle agricole occidentale et introduire des OGMs et des produits prohibés dans les pays et s’accaparer de leurs ressources naturelles comme la terre et l’eau.
Il existe un manque permanent de solutions structurelles et durables, à cause de la pression pour maintenir un statu quo et par crainte de limiter les bénéfices de quelques uns.
Nous vivons une augmentation de la criminalisation des syndicalistes, des activistes de l’environnement et des paysan(ne)s qui luttent pour leurs droits ou pour le droit de la nature. Rien qu’au Honduras, il y a des centaines de paysans et de paysannes en procès pour défendre leurs droits. Les violences contre les défenseurs de l’environnement ont augmenté de manière exponentielle ces dernières années.2
Nous soulignons l’importance d’ouvrir aux organisations de base les espaces où les normes internationales sont discutées et adoptées et de développer des mécanismes de consultation transparente, d’information et de divulgation conduits par les mouvements eux-mêmes. Nous mentionnons ici la Déclaration des Droits des paysans et des travailleurs ruraux qui se développe au sein du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies comme un exemple positif.3
Nous avons besoin de nouveaux processus de démocratie participative, transparente qui partent de la base (national, régional et mondial) pour appliquer la souveraineté des peuples dans le monde d’aujourd’hui et non pas leur oppression.
Nous avons besoin de mécanismes régionaux et internationaux contraignants pour arrêter les crimes contre l’humanité commis par les multinationales. Dans ce sens, nous accueillons positivement l’initiative du Conseil de Droits de l’Homme qui s’est fixé comme objectif un Traité contraignant pour punir les crimes des multinationales et nous soutenons la campagne pour le Démantèlement du pouvoir du secteur privé.4
Nous reconnaissons que le rôle de l’État est de représenter les intérêts des peuples. Donc, l’État a le devoir de s’opposer à tout politique ou traité international qui mine les droits humain ou sa propre souveraineté. Il est essentiel de soutenir la souveraineté et la responsabilité des Etats au lieu de les saper au niveau international.
La Via Campesina défend la souveraineté alimentaire comme une utopie rebelle à ce système exploiteur. Nous construisons nos alternatives dans la solidarité, chaque jour, depuis la base.
1 https://www.tni.org/en/briefing/state-power-2014#infographics
2 http://www.democracynow.org/2015/4/22/how_many_more_116_environmental_defenders
3 http://defendingpeasantrights.org/
4 http://www.stopcorporateimpunity.org/