L’arrivée en force sur le marché dans les dernières années des technologies de l’Intelligence Artificielle (IA) et de ses corolaires les grandes bases de données touchent tous les secteurs. Qu’en est-il de l’agriculture? Elle n’échappe pas à la tendance, avec la multiplication des outils « intelligents », dans la gestion des serres, des champs, du bétail et des ventes. L’organisme GRAIN, une OBNL internationale « qui soutient la lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes alimentaires fondés sur la biodiversité »i en a récemment publié un survol. Voici une version abrégée.
Intégration du marché
Il ressort de leur étude qu’une intégration entre les compagnies qui fournissent les technologies et celles qui gèrent l’interface des communications et des données producteurs-consommateurs est en cours à travers le monde. Elle prend place par la migration des outils de travail des producteur.trices agricoles et des outils d’achat des consommateur.trices vers des plates-formes mobiles connectées. Cette migration est le résultat d’investissements dans la production et la distribution alimentaire des géants du web (ex. : Amazon, Microsoft, Alibaba…) qui se créent un pouvoir sur le secteur via des plates-formes d’agro-business.
« Dans le monde des technologies numériques, le pouvoir est basé sur les données, sur la capacité à collecter et traiter d’énormes quantités de données »ii. Les géants de la Tech travaillent à connecter les outils de prise de données (Smartphones, drones, tablettes) à la machinerie et au « cloud » de données. Ceci leur permet d’investir le marché avec des services de gestion et d’usage des technologies agricoles industrielles, par exemple indiquant aux agriculteurs industriels quand épandre, dans quelle quantité, avec qui (sous-traitants), etc.
Dans cette logique de données massives, il n’y a pas de place pour une agriculture de petite échelle, peu mécanisée, puisque la collecte de données à grande échelle ne les concerne pas :
« Les conseils que les petits agriculteurs recevront de ces réseaux numériques, via des messages texte sur leurs téléphones portables, seront loin d’être révolutionnaires. Et si ces agriculteurs pratiquent l’agroécologie et la polyculture, les conseils qu’ils recevront seront totalement inutiles »iii
Or, la vaste majorité de la nourriture produite dans le monde, surtout hors des pays industrialisés, l’est encore par l’agriculture de subsistance.
De nouveaux intermédiaires
Locale et à petite échelle, l’agriculture paysanne n’a que faire des technologies coûteuses et de la gestion à distance. La stratégie adoptée par les acteurs de l’industrie Agroalimentaire et des technologies est de lier la mise en marché des surplus de l’agriculture à petite échelle à l’intégration des paysan.nes aux plates-formes de technologie.
Selon la Banque mondiale, 1,7 milliard de personnes dans le monde ne disposent pas de compte bancaire, parmi lesquels 1,1 milliard possèdent un téléphone portable. Il existe donc un énorme marché financier potentiel que les entreprises technologiques, connues sous le nom de fintechs,
peuvent exploiter en remplaçant ainsi les géants traditionnels du système financier.iv
En remplaçant les commerçant.es, les technologies de l’IA permettent de faire communiquer directement producteurs et acheteurs. Via la mise en marché numérique, les prix des aliments se comparent désormais à travers les plateformes de Big Data. Ce phénomène met en compétition les paysan.nes et désincarne les médiums de négociation vers le web. On peut donc parler d’une UBERisation du marché alimentaire.
Dans cette logique, les petit.es commerçant.es : « et vendeuses du système alimentaire deviendront essentiellement des travailleuses à la pièce, ainsi que des consommatrices de leurs produits financiers, payant des frais sur les transactions monétaires numériques et des intérêts sur les prêts de microcrédit »v
Des outils utiles?
La plupart des consommateur.trices, acheteur.trices en gros et agriculteur.trices utilisent déjà des outils numériques. Certains se les réapproprient, comme les groupes de fermier.ières qui travaillent en logiciels libres et en plates-formes coopératives, par exemple les « FarmHack », ou bien simplement en créant leurs propres réseaux de distribution sur le web. Cette tendance connaît un vif essor avec la crise de la COVID actuelle. La question, selon le rapport de GRAIN, est alors de savoir si ces initiatives pourront faire le poids face aux géants du web, ou du moins maintenir une autonomie nécessaire pour organiser le marché en faveur de l’agriculture à échelle humaine. Poser la question est toutefois déjà y répondre, du moins en partie. Les forces dans la balance sont bien inégales car les infrastructures sont non reproductibles hors des technologies que les paysan.nes ne contrôlent pas.
i Site web de GRAIN, https://www.grain.org/, consulté le 2021-02-10
ii Contrôle numérique : Comment les Big Tech se tournent vers l’alimentation et l’agriculture (et ce que cela signifie), Organisme GRAIN, janvier 2021. Disponible en ligne, p.3.
iii Ibid., p.6.
iv Ibid., p.8.
v Ibid., p.10.