Si vous avez suivi l’actualité agricole des dernières semaines, vous avez peut-être entendu parler de la nouvelle législation encadrant la production d’oeufs d’incubation au Québec. Cette nouvelle règle vise à limiter les cheptels de reproduction à seulement 15 poules pondeuses et 5 coqs pour les producteur.trices qui ne possèdent pas de quotas dans ce domaine.
Mais d’abord, qu’est-ce qu’un quota et qu’est-ce que la production hors quotas?
Au Canada, vous devez détenir un quota pour produire du lait, des œufs, du poulet, du dindon et maintenant… il en faudra aussi pour détenir des poules et des coqs destinés à la reproduction. Il s’agit en quelque sorte d’un droit de produire (mais aussi d’une obligation!) se vendant aujourd’hui au prix fort, mais qui a été gratuitement offert par le gouvernement au cours des années 70.
Au Québec, ce sont les fédérations spécialisées de l’Union des producteurs agricoles (UPA) qui déterminent le prix et la distribution des quotas. Comme ces fédérations sont composées des détenteurs de quotas, vous comprendrez qu’ils donnent peu de place à la relève et on a plutôt tendance à favoriser la spécialisation et l’augmentation de leurs propres productions avant de permettre l’entrée à d’autres joueurs.
Il est cependant possible de produire une petite quantité d’aliments sans avoir de quotas. C’est ce qu’on appelle la production hors quota. Au Québec, les quantités maximales sont de 300 poulets à chair et 25 dindons par année, 99 poules et … zéro vache1. Il est en effet interdit de produire du lait hors quota au Québec, sauf pour les besoins de votre famille rapprochée (mais quelle famille pourrait valoriser 30 litres de lait par jour, soit la production moyenne d’une vache laitière?). Ces normes sont parmi les plus sévères au Canada. Elles sont définies par les fédérations spécialisées de l’UPA (dans ce cas-ci, les Éleveurs de volailles du Québec, la Fédération des producteurs d’œufs du Québec et les Producteurs de lait du Québec) et nul ne sait sur quelles bases ces niveaux sont fixés.
Des quotas pour la production d’oeufs d’incubation?
Ce printemps, c’est sans tambour ni trompette que les Producteurs d’œufs d’incubation du Québec (POIQ) ont adopté un nouveau règlement visant à contrôler de manière plus serrée la production d’œufs d’incubation, et donc de poussins. La nouvelle est tombée comme une douche d’eau froide sur nos fermiers.ières de proximité : même les œufs d’incubation de race dites « de fantaisie » (en opposition à la race domestique, commune à l’industrie) seront dorénavant soumis à un contrôle. Ce règlement stipule que nul ne peut détenir plus de 15 poules et 5 coqs sans détenir de quotas, et que nul ne peut produire plus de 499 œufs d’incubation par année… et cette production limitée doit être réalisée pour son bénéfice personnel seulement! Autrement dit, il devient illégal de vendre ou de donner des œufs fécondés ou des poussins sans détenir de quotas. Quotas qui, bien sûr, sont concentrés dans les mains d’une poignée de producteurs industriels (en 2014, il n’en restait que 37 producteurs au Québec2).
Souveraineté alimentaire en péril
De plus, cette manœuvre économique des POIQ soulève un enjeu démocratique fondamental qui s’oppose frontalement aux principes des souverainetés alimentaires tel que promu par la Via Campesina : des producteurs spécialisés ayant des intérêts économiques dans un secteur particulier de la production s’unissent pour déterminer les règles du jeu, en toute légalité, de la même manière qu’un cartel opère! Autrement dit, il ne s’agit pas d’une décision prise par les collectivités – ni même par un gouvernement élu! – mais plutôt d’une décision prise autoritairement par un conglomérat d’entreprises, au nom du profit individualisé.
Encore un recul pour l’agriculture de proximité et la souveraineté alimentaire du Québec! En venant ainsi couper la chaîne de reproduction animale à petite échelle, c’est la capacité de production alimentaire des paysan.nes du Québec que l’on met sur la sellette. Notamment parce qu’on l’oblige à dépendre de l’industrie dans le renouvellement de ses cheptels C’est aussi la survie des races patrimoniales qui est en danger. Malgré la mobilisation populaire et l’engouement sans précédent pour une agriculture locale et à échelle humaine, l’Union des producteurs agricoles continue d’étendre son contrôle sur l’agriculture du Québec. C’est même à se demander si c’est cet engouement pour les poules en milieu urbain qui a incité les POIQ à resserrer ainsi leur étau. Car oui, toi qui voulais trois poules pondeuses dans ta cour, tu ne pourras plus compter sur ton voisin et devras acheter ces poules à l’industrie, sans quoi tu commettras ce geste dorénavant illégal de contribuer aux souverainetés alimentaires!
1 En 2018, l’Union paysanne a comparu devant la Régie des marchés agricoles et agroalimentaires du Québec pour faire augmenter les seuils de production hors quota. Le seuil pour le poulet à chair est ensuite passé de 100 à 300 poulets, bien que nous demandions 2000. Les autres seuils n’ont pas bougés)
2 https://www.mapaq.gouv.qc.ca/fr/Publications/oeufs_incubation_WEB.pdf